Faire partie du monde en confinement, contemplations (texte mis à jour le 9 avril)

Faire partie du monde en confinement, contemplations (texte mis à jour le 9 avril)

En cette période de repli dans nos logements, nous souhaitons garder le lien et faire vivre la solidarité du quartier.
Chaque jour jusqu’à la fin du confinement, nous vous proposerons donc une contribution proposée par un-e voisin-e !
Envie de contribuer ? Ecrivez-nous !
Toutes les idées sont les bienvenues : charlotte.ciabrini@assohdb.fr
Prenez soin de vous !


Julie, adhérente de la MJC, nous fait part de ses réflexions : les normes, la sacro-sainte croissance, l’exploitation des plus précaires, notre modèle de société…  Face aux injonctions qui pleuvent en ce moment, Julie revendique de pouvoir faire : « place au temps, à la paresse, au non-rythme de nos journées pour créer des espaces de créativité. »

Dans cette période historique où nous ne sommes plus en liens physiques, où les lieux de la cité sont vidés de leur propos démocratique de vie et de débats, les médias et autres newletters d’abonnés ont toujours des capacités intenses à manipuler nos cerveaux par le traitement des informations, et à nous dicter insidieusement la manière dont il est attendu que nous nous comportions en ces temps de confinement.

On lit ici et là des conseils de sophrologie, gestion du stress, comment ne pas tourner en rond, comment s’occuper et ne pas céder à la (dé)pression… Convoquant un champ lexical normatif, ces conseils vont de bon train utiliser le vocabulaire du « ne pas », « y a qu’à faut qu’on ».

>> Ne pas tourner en roue libre mais poser un cadre pour le quotidien : fixer des horaires.
>> Ne pas traîner en pyjama toute la journée
>> Ranger, ne pas se laisser aller sur le ménage,
>> Ne pas manger trop de sucres, de produits raffinés, ne pas consommer trop d’excitants, éviter de manger gras,
>> Ne pas nous encroûter : faire de l’activité, du sport, du yoga, essayer le pilates et les abdos fessiers pour préparer votre corps de rêve pour l’été !
>> Y a qu’à prendre un des bouquins que vous n’avez jamais pris le temps de lire
>> Ne vous laissez pas abattre, trouver des occupations, vous devez certainement avoir des tâches qui n’attendent que votre bon vouloir : couture, laver les vitres …
>> Y a qu’à se donner des objectifs avec des to-do-listes devenez des chef-fe-s de projets de vos quotidiens, ayez des ambitions !

On nous indique ici, pour notre bien, comment nous devrions nous comporter pour remplir ce soi-disant vide créé par le confinement. Ces injonctions, à travers leur tournure bienfaisante, m’évoquent des commandements moralisateur à ne pas dévier de la normativité sociétale : faudrait pas oublier les habitudes, les trains trains quotidiens du métro-boulot-dodo afin de pouvoir, plus tard (mais quand?) être encore capacité de retravailler de manière salariée avec un joli plan de carrière, puis de consommer, festoyer, faire partir en fumer le fric de notre salaire, polluer, pour la sacro-sainte croissance de la France sous un régime de religion de l’économie financière.

Pourquoi répéter sans cesse ces cadres, ces commandements ? Est-ce vraiment ce dont l’Humain a besoin pour ne pas angoisser du confinement ? Pourquoi nous alerter à « garder le rythme »? Pour nous éviter de « faire un pas de coté » ?

Personnellement, ces injonctions absurdes au « bougisme permanent », à utiliser de manière productive notre temps, me laissent imaginer qu’il peut apparaître dangereux, aux yeux des personnes détentrices des pouvoirs, de laisser une partie des gens prendre le rythme qu’iels souhaitent.

Chaque jour, j’oscille entre une culpabilité normée d’avoir tout lâché, et de ne pas « mettre à profit » ce temps à fructifier pour d’autres choses «plus constructives », et une envie de profiter toute la journée de ces moments pendant lesquels il m’est possible de fixer mes propres règles, dealées avec moi-même, sur mon lit, pour me reposer et contempler, et pour me laisser remplir du sentiment que le « ne rien faire » me procure. La paresse et la nonchalance quotidiennes ont un goût si doux quand elles ne sont pas relevées d’une pincée de culpabilité.

Et si ce confinement donnait du temps à soi, s’il était si créatif, introspectif, qu’il aura le pouvoir, malgré nos enfermements, de libérer et d’émanciper des parties de ce que chacun-e nous sommes ?

Et si, pour une fois, ce temps de confinement pouvait permettre de repenser l’économie autrement que par dans une logique monétaire pour la redéfinir comme écologie : les économies de communauté constituant l’ensemble diversifié des activités de subsistances d’une communauté ?

Et s’il était l’occasion de remettre en cause la division des rôles attendus de la société, les catégories de genre, la division du travail autrement qu’en travail productif et reproductif ? S’il pouvait nous laisser apprendre à ralentir, à nous désintoxiquer du « travail » et des sommations à propos de qui devrait le pratiquer et comment, à valoriser le travail invisible (bénévole et ou reproductif…) et  à nous questionner sur l’utilité de nos activités, du productivisme et du consumérisme qui semblent être les logiques qui remplissaient le sentiment de vide de sens de nos vies ? Et si nous commencions à imaginer l’a-croissance ?

Et si ce virus infiniment petit arrivait à mettre en lumière comme nous sommes si fragiles dans la complexité d’interdépendance du monde d’accumulation du capital ? Que ce sont les logiques gouvernantes dans l’illusion de toute puissance, qui sont en partie responsables de la situation, et comment elles génèrent toujours plus d’inégalités, même en temps de confinement, par l’exploitation des plus précaires qui continuent de travailler, l’isolement des plus vulnérables, les plus miséreux-ses encore une fois les plus exposés.

Et si ce virus infiniment petit soulignait comment les logiques économiques ancrées dans des valeurs capitalistes et patriarcales de dominations (es femmes par les hommes, sur nos écosystèmes), les principes d’appropriation-destruction de la nature comme modèle de base de la réussite et de la richesse, continuent de maintenir les conditions d’anéantissement de la planète (des humain-e-s et des plus-qu’humain-e-s) ? S’il était l’occasion d’analyser les interconnexions à mettre en œuvre entre les luttes de classe, de genre et de race contre le système capitaliste et patriarcal menant aux crises sociales et écologiques ? Et s’il nous permettait de comprendre que nous ne contrôlons pas le monde, mais que nous en faisons partie ?

Alors nous pourrions nous réjouir de cette arrivée. Cependant, ce virus n’a pas à être le sujet d’un réjouissement face à l’immense chaos du monde. Je comprends en quoi le début de l’effondrement de ce système me fait jubiler à répéter « nous vous l’avions dit » et en ayant le sentiment de vivre une partie de l’Histoire de l’Humanité. Mais le krach boursier, le ralentissement de l’économie mondiale aura probablement des conséquences éminemment inquiétantes d’un point de vue social et démocratique, probablement encore plus sur les personnes déjà les moins privilégiées. Ce n’est pas cette formule que j’aurais aimé voir mise en œuvre pour faire basculer les rapports et modes de fonctionnements actuels de notre société. Cette période nous enseigne qu’il est effectivement possible de ralentir (mais pour l’instant à quel prix?), et que c’est même souhaitable, à condition d’adapter nos modes de communication, d’activités, de rapport à la nature, de relations, d’échanges, à ce type de vie afin d’imaginer la diversité des conceptions et des rapports aux Autres.

Place au temps, à la paresse, au non-rythme de nos journées pour créer des espaces de contemplations et de créativité.

Tiens, ça faisait bien longtemps que je n’avais rien écrit. »

 

Inspirations des réflexions :

  • Marie-Anne Casse lot et Valérie Lefebvre-Faucher, « nos amitiés écoféministes, Faire partie du monde », Réflexions écoféministes, éditions Remue-ménage, 2017
  • K Gibson-Graham et Miller «  Economy as Ecological Livelihood »
  • Gaël Giraud, « Dépister et fabriquer des masques, sinon le confinement n’aura servi à rien », Tribune Reporterre 24/03/20 https://reporterre.net/Depister-et-fabriquer-des-masques-sinon-le-confinement-n-aura-servi-a-rien
  • Anna Kruzynski, « de l’écologie sociale aux économies de communauté : pour un autre vivre-ensemble », Faire partie du monde, réflexions écoféministes
  • @_ï « Non, le Coronavirus n’est pas notre Décroissance », Actualités de Projet Décroissance, 25/03/20 http://www.projet-decroissance.net/?p=2637

Posté par : dans chroniques de confinement le jeudi 4 avril 2020
1 commentaire

1 commentaire

  1. Par Pownall André

    Le 4 avril 2020

    Si ce confinement donne du temps à soi, s’il est si créatif, introspectif, qu’il a le pouvoir, malgré nos enfermements, de libérer et d’émanciper des parties de ce que chacun-e nous sommes, comme dit Julie, dont je partage une grande partie des idées, je m’en réjouirai. Mon espoir, comme disait Boris Cyrulnik sur France-Inter l’autre jour, est que nous vivrons le Covid-19 non pas comme une crise, suivie d’un retour au « normal », mais comme une catastrophe, comme la peste au 14e siècle, qui a provoqué un changement de société en Europe.
    Ayant dit cela, je remarque que les plus belles créations artistiques ne sont pas le fruit de la spontanéité, mais de disciplines durement acquises et d’application persévérante. Profitons de manière intelligente de ce temps qui nous est donné !

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